Les marques qui marquent sont celles qui se dotent d’une véritable personnalité et savent se raconter ! 📖 Entre mythes fondateurs et problématiques contemporaines, le storytelling est une science qui façonne les imaginaires pour les ancrer dans l’inconscient collectif.
Comment construire un imaginaire de marque mémorable ? 🤓 C’est la question que la team We Are COM est allée poser à Séverine Charon, sémiologue, professeur et consultante, spécialisée en récit de marque. Pour elle, un storytelling réussi ne se limite pas à une histoire, il doit créer du sens, de la cohérence et surtout de l’émotion ! 👀 Prêt à explorer les dessous de l’imaginaire de marque ?
Bonjour Séverine, en tant que spécialiste de l’imaginaire et récit de marque, quelle est votre définition du storytelling ?
Le storytelling, c’est ce qu’on pourrait traduire comme du colportage d’informations. Même si le discours initial émane d’une marque, d’une entité quelle qu’elle soit, sa diffusion dépend d’un bouche-à-oreille, d’une parole collective qui circule, évoluant et se transformant au gré des sensibilités. C’est pour cette raison que le récit de marque échappe souvent à son émetteur. Il est donc impératif d’établir en amont un cadre narratif solide, servant de matrice, afin de garantir la cohérence des éléments de langage.
Le récit de marque échappe souvent à son émetteur.
Comment devient-on une experte du récit de marque ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ? Qu’est-ce qui vous anime au quotidien ?
Littéraire de formation, j’ai toujours été fascinée par la puissance et la densité du langage. En entreprenant des études de sémiologie, je me suis encore davantage tournée vers le mot et sa force de suggestion mentale, pour le mettre au service de mes clients, qu’ils soient marques de beauté, de mode ou de luxe, mais aussi lieux culturels et territoires géographiques.
Partant du principe que ce qui n’est pas nommé n’existe pas, mon expertise consiste à déterminer des référents communs pour faire vivre un discours de marque, élaborer des univers singuliers, francs et désirables.
Justement, quels sont les ingrédients d’un récit de marque mémorable et désirable ?
Avant toute chose, il convient de doter l’émetteur d’une personnalité. De quelle manière prend-il la parole ? Que dit-il ainsi de lui de façon évidente ou implicite ? J’aime me référer aux archétypes de Jung : en les adaptant aux marques, on parvient à dresser de véritables profils psychologiques.
Une fois cette personnalité définie, il faut communiquer clairement sur la mission de la marque, et les bénéfices qu’elle apporte aux clients. C’est ce que j’appelle un scénario de quête, un peu comme dans Le Seigneur des Anneaux, où la marque devient celle qui lance la quête, à la manière de Gandalf. 🙂 En fait, le client, qui est le protagoniste, doit instantanément comprendre lequel de ses besoins la marque peut satisfaire, lequel de ses problèmes elle peut résoudre. Au produit, service, événement de permettre à la quête de se réaliser pleinement.
Enfin, un récit doit entrainer une transformation. Pour rester mémorable, dans un univers où la parole est saturée au risque de devenir volatile et inaudible, il est essentiel que le storytelling se matérialise en expérience de marque pour amener le consommateur à une évolution réelle, sans retour en arrière possible. A chaque connexion, interaction avec la marque, il doit se passer quelque chose…
J’aime me référer aux archétypes de Jung : en les adaptant aux marques, on parvient à dresser de véritables profils psychologiques.
Entre mythe fondateur et problématiques contemporaines, comment garantir la cohérence d’une narration de marque ?
Pour formaliser les éléments de langage et garantir la cohérence, la technique que je recommande est celle de l’entonnoir. Celle-ci consiste en un découpage de la communication en trois strates, de la plus concrète à la plus abstraite, de l’incarnation de la marque à son mythe fondateur. Le niveau de surface, dit du discours, rassemble les éléments émergés, visibles, aisément identifiables. Le niveau de la narration correspond au scénario de quête, il est le lieu de la connexion entre une marque et ses cibles. Enfin, celui du récit opère dans les soubassements de la marque, sa conception du monde, ses valeurs…
En garantissant la cohérence des informations de chaque strate, cette réflexion en entonnoir permet d’aligner les discours émis avec les discours perçus. C’est une méthode relativement simple à mettre en place, qui peut préserver les marques de graves accidents stratégiques.
Avez-vous un cas de storytelling de marque réussi à nous présenter ?
J’ai été séduite par l’initiative pour Noël de la marque Diptyque ! L’idée ? Une collaboration avec l’artiste Lucy Sparrow pour créer une épicerie festive, intégralement confectionnée en feutrine et à la main. Aucun produit classique n’était mis en vente. Cette opération de communication sur fond de tradition de Noël, était une invitation poétique à découvrir la marque de manière sensorielle et inédite.
Et avez-vous entendu parler du « salon de bain », de la même Maison Diptyque près de la Madeleine, à Paris ? Cette fois encore, c’est en faisant un pas de côté et en inventant un nouveau mot, que la marque nous transporte dans un univers hybride, inspiré et incarné.
Et a contrario, avez-vous un fiasco à nous décrypter ? Comment aurait-il pu être évité ?
Il y a quelques années, c’est la maison de luxe Tiffany, qui a fait parler d’elle. Rappelez-vous, la marque avait revisité le conte Alice aux Pays des Merveilles dans un spot publicitaire un peu kitsch mettant en scène Zoé Kravitz. Celle-ci jouait le rôle d’une vendeuse peu épanouie, soudainement aspirée dans les coulisses féériques de la joaillerie, avant de retrouver sa boutique et sa routine sans enthousiasme.
Pourquoi cette narration ne fonctionne-t-elle pas ? Parce que le phénomène de transformation nécessaire à tout récit de marque mémorable, est inexistant. Le spectateur, transporté un temps, se retrouve finalement au point de départ. Il est ainsi confronté à une expérience de la frustration, une campagne déceptive qui ne génère aucune désidérabilité. A l’inverse d’ailleurs, la chute de ce spot nuit même à la marque, puisque la vendeuse de Tiffany retourne à son morne quotidien après avoir fantasmé sur des bijoux qu’elle ne pourra jamais s’offrir. Tout cela renvoie une image d’inaccessibilité, voire de cynisme qui peut entacher la marque. Cela me fait penser au conte affreusement triste d’Andersen, La Petite Fille aux allumettes.
Plus récemment, c’est la marque Jaguar qui a manqué de vigilance dans la conception de sa nouvelle identité visuelle. En cristallisant des enjeux idéologiques à travers ses choix graphiques, l’enseigne a paru s’éloigner de son imaginaire intrinsèque. Le manque de cohérence est, comme ce fut le cas ici, souvent perçu comme une forme d’opportunisme.
Quelles sont les tendances actuelles en matière d’imaginaire de marque ? Pourquoi et comment certains mots peuvent-ils nourrir l’expérience de marque élaborée et nourrie par les communicants ?
De plus en plus, les imaginaires s’incarnent dans des lieux du réconfort. Les marques replacent les plaisirs élémentaires au cœur de leurs récits, en sollicitant les sens du consommateur. Par exemple, de nombreux cosmétiques s’associent aujourd’hui avec des chefs étoilés, des grands joailliers, autour d’une forme de gourmandise récréative. Quant à la couleur de l’année 2025, savez-vous comment elle s’appelle ? Le « Mocha Mousse ». Cette teinte chaude, presque régressive, renvoie à un besoin contemporain de douceur, de sensualité qui n’exclut pas une énergie souterraine, caféinée.
Une autre tendance se confirme, le parti-pris de la connivence. En concevant des campagnes en décalage, intrigantes ou énigmatiques, les marques éveillent la curiosité et font parler d’elles. Sur les murs du métro parisien, on pouvait voir il ya quelques semaines de grandes affiches noires et blanches minimalistes portant uniquement la mention « re ». Avant que le public ne comprenne que cette initiative faisait la promotion de la saison 2 de la série Bref, les réseaux sociaux ont donné lieu aux spéculations les plus farfelues. Loin de l’ancienne logique de communication descendante, les marques créent aujourd’hui de véritables dialogues avec leurs publics.
De quelle manière entrevoyez-vous l’avenir du storytelling ? Quels seront les grands enjeux des années à venir ?
L’émotion est devenue cruciale ! Le storytelling ne se résume plus à un contenu informatif et argumentaire, il devient une simple narration émotionnelle. De plus en plus, les marques dépassent leurs prérogatives en communiquant de manière apparemment altruiste. Culturels, philanthropiques, pratico-pratiques, distrayants… , les contenus éphémères se multiplient aujourd’hui pour interpeller les publics et créer un lien d’affinité.
On parle beaucoup de la fin du storytelling. Il me semble qu’on assiste plutôt à la fin du discours autocentré contrôlé par les marques, au profit d’un discours collectif, celui des communautés, qui s’inscrit dans un moment spécifique. Le récit de marque se nourrit désormais de petites résurgences identitaires ponctuelles à combiner avec cette immense machine à fabriquer des histoires, cette caisse de résonance incontrôlable que constitue Internet. Le danger réside peut-être dans la tentation de basculer dans un spectacle permanent, étourdissant, qui ferait perdre de vue l’essentiel : ce qui est digne et respectable dans les belles marques.
Il me semble qu’on assiste plutôt à la fin du discours autocentré contrôlé par les marques, au profit d’un discours collectif, celui des communautés, qui s’inscrit dans un moment spécifique.
Enfin, auriez-vous un dernier petit conseil concernant le récit de marque à livrer aux lecteurs de We Are COM ?
Gardez le contrôle ! Lorsqu’on travaille sur un récit de marque, il est important de toujours se référer à des invariants capables de circonscrire son territoire. Mettre au point une puissante matrice, en sondant différents publics (les collaborateurs comme ambassadeurs de marque incontournables), y arrimer la marque de façon intangible, c’est éviter tout éparpillement.
4 choses à savoir sur Séverine Charon
Ses sources d’inspiration ? Steve Jobs disait que la créativité, c’était d’importer les codes d’un secteur dans un autre secteur. Comme lui, Séverine se nourrit de tout. Pour elle, c’est en butinant un peu partout qu’on parvient à se réinventer au quotidien. Elle prône l’hybridation de l’inspiration.
Sa campagne de COM préférée ? La publicité 1984 d’Apple, pour son questionnement troublant, sa réalisation grandiose et son esprit ardent et féminin de résistance. Vous rappelez-vous de ce spot de Ridley Scott, inspiré du roman de Georges Orwell ?
Ses engagements ? Séverine accompagne les entrepreneurs de l’Institut Français de la Mode, en France et jusqu’au Bénin, vers une créativité plus responsable pour faire bouger les lignes d’un secteur décrié qui n’a jamais autant prouvé ses affinités avec l’art. « Sans contrainte, pas de créativité », affirme-t-elle !
Son mot du moment ? « Regenerated ». C’est revisiter le passé sans perdre de vue le présent, faire du neuf avec du vieux et plus largement recréer de la désirabilité sans se renier. Cette problématique est centrale pour beaucoup de marques, ces « belles endormies » qui ne demandent qu’à se réveiller, et dont la fulgurance originelle reste génialement intemporelle.